Le domaine de la santé, souvent perçu comme une vocation noble, n’est pas exempt de tensions sociales et professionnelles. Au fil des décennies, les professionnels de santé ont dû se mobiliser pour défendre leurs conditions de travail, leur reconnaissance professionnelle et la qualité des soins. Cet article propose un panorama des principaux mouvements sociaux qui ont marqué l’histoire des professions médicales en France et dans le monde, révélant les défis persistants auxquels font face ces acteurs essentiels de nos sociétés.
Les mobilisations infirmières: entre reconnaissance et épuisement
La « Grande Colère » des infirmières françaises (1988-1989)
En octobre 1988, la France a connu l’un des plus importants mouvements sociaux dans le secteur infirmier, surnommé « la coordination infirmière » ou « la Grande Colère ». Ce mouvement, d’une ampleur sans précédent, a rassemblé jusqu’à 100 000 infirmières dans les rues de Paris. Les revendications portaient sur :
- La revalorisation salariale
- La reconnaissance de la pénibilité du métier
- L’amélioration des conditions de travail
- Une meilleure formation professionnelle
Ce mouvement a abouti à certaines avancées, notamment une revalorisation salariale et la création d’un nouveau diplôme d’État. Il a également marqué l’émergence d’une conscience collective et d’une capacité de mobilisation jusqu’alors insoupçonnée dans cette profession majoritairement féminine.
Les mouvements infirmiers au Québec (1989-1999)
Au Québec, les infirmières ont mené plusieurs grèves importantes durant les années 1990, notamment en 1989 et 1999. Confrontées à des réformes successives du système de santé et à des restrictions budgétaires, elles ont lutté contre :
- L’alourdissement de leur charge de travail
- Les heures supplémentaires obligatoires
- Le recours croissant au personnel temporaire
La grève de 1999, particulièrement marquante, a duré 23 jours et s’est terminée par une loi spéciale ordonnant le retour au travail, illustrant la tension entre le droit de grève et la continuité des services essentiels.
Les médecins en lutte : entre éthique et conditions d’exercice
Le mouvement des médecins hospitaliers en France (1983)
En 1983, les internes et chefs de clinique des hôpitaux français ont mené une grève historique contre la réforme du troisième cycle des études médicales et la création du « médecin de famille ». Ce mouvement a paralysé les hôpitaux pendant plusieurs mois et s’est soldé par un compromis avec le gouvernement.
La grève des médecins britanniques (2016)
En 2016, les médecins juniors du National Health Service (NHS) britannique ont entamé une série de grèves contre un nouveau contrat que le gouvernement souhaitait leur imposer. Ce contrat prévoyait :
- Une redéfinition des horaires de travail « normaux »
- Une modification de la rémunération des gardes
- Des changements dans la progression salariale
Cette mobilisation, la première grève totale (y compris des services d’urgence) en 40 ans, a souligné les tensions croissantes au sein du NHS face aux politiques d’austérité.
Les combats des médecins étrangers : contre les discriminations institutionnalisées
Le mouvement des PADHUE en France
Les Praticiens à Diplôme Hors Union Européenne (PADHUE) en France ont mené plusieurs mouvements sociaux depuis les années 1990. Ces médecins, souvent recrutés pour combler les besoins dans les « déserts médicaux » ou les spécialités en tension, ont longtemps exercé avec :
- Des salaires inférieurs à leurs collègues français
- Un statut précaire
- Des difficultés pour faire reconnaître pleinement leurs qualifications
La loi de 2012, puis celle de 2019, ont tenté d’apporter des solutions à ces situations, mais les inégalités persistent et continuent d’alimenter les revendications.
La lutte des médecins étrangers aux États-Unis
Aux États-Unis, les « International Medical Graduates » (IMG) représentent environ 25% des médecins en exercice. Ils font face à :
- Des procédures de reconnaissance des diplômes complexes et coûteuses
- Des restrictions dans l’accès aux programmes de résidence
- Des discriminations à l’embauche et dans l’évolution de carrière
Plusieurs associations défendent leurs droits et ont obtenu certaines avancées, notamment dans la simplification des procédures de validation des compétences.
Les mobilisations étudiantes : défendre la formation et l’avenir
Les protestations contre le numerus clausus en France (1976-2021)
De 1976 jusqu’à sa suppression en 2021, le numerus clausus limitant l’accès aux études de médecine a été l’objet de nombreuses contestations étudiantes. Les mouvements dénonçaient :
- La sélection drastique après la première année
- L’inadéquation entre le nombre de médecins formés et les besoins de santé
- Les méthodes pédagogiques inadaptées
La réforme de 2019-2021 a remplacé ce système par les « objectifs nationaux pluriannuels », mais les tensions persistent autour des modalités de sélection.
Les mobilisations contre la dette étudiante aux États-Unis
Aux États-Unis, où les études de médecine sont particulièrement coûteuses, les étudiants se mobilisent régulièrement contre :
- Le coût exorbitant de la formation (souvent plus de 200 000 dollars)
- L’endettement massif qui en résulte
- Les pressions financières qui influencent le choix de spécialité
Ces mouvements s’inscrivent dans un cadre plus large de contestation du coût de l’enseignement supérieur américain.
Les luttes contemporaines : pandémie et crise systémique
Les mobilisations pendant la crise du COVID-19
La pandémie de COVID-19 a engendré des mouvements sociaux spécifiques dans le milieu médical :
En Italie et en Espagne, premiers pays européens gravement touchés, les soignants ont manifesté contre :
- Le manque d’équipements de protection
- L’insuffisance des ressources hospitalières
- La gestion politique de la crise sanitaire
En France, le mouvement « Applaudissements » s’est transformé en revendications concrètes, notamment à travers le « Ségur de la Santé » qui a abouti à des revalorisations salariales jugées insuffisantes par de nombreux acteurs.
Le mouvement « Médecins pour demain » en France (2022-2023)
Fin 2022, le collectif « Médecins pour demain » a lancé un mouvement de grève des médecins libéraux français pour :
- L’augmentation du tarif de la consultation
- La lutte contre les déserts médicaux sans coercition
- L’allègement des charges administratives
Ce mouvement illustre les tensions persistantes dans le système de santé français, entre exigences économiques et aspirations professionnelles.
Des défis persistants pour les professionnels de santé
L’histoire des mouvements sociaux dans les professions médicales témoigne de difficultés structurelles qui, malgré leur évolution, demeurent préoccupantes aujourd’hui :
- La tension entre vocation et reconnaissance professionnelle : les soignants restent tiraillés entre leur engagement auprès des patients et la recherche d’une juste valorisation de leurs compétences et sacrifices.
- L’épuisement professionnel : l’intensification du travail, la bureaucratisation croissante et les restrictions budgétaires ont conduit à une augmentation alarmante du burn-out dans toutes les professions médicales.
- La marchandisation des soins : la logique gestionnaire et les impératifs de rentabilité entrent souvent en conflit avec les valeurs fondamentales des métiers du soin.
- Les inégalités persistantes : qu’elles concernent le genre, l’origine ou le statut, ces disparités continuent d’affecter le monde médical.
Ces défis appellent à repenser en profondeur l’organisation des systèmes de santé et la place qu’y occupent les professionnels. Les mouvements sociaux, loin d’être de simples expressions de mécontentement corporatiste, révèlent les tensions profondes qui traversent nos sociétés dans leur rapport à la santé, au soin et à ceux qui les dispensent.